Je l’ai rencontré il y a presque une année. AVC, aphasie,
apathie. Des indications médicales courantes… La relation débute avec nos
regards, et il faut l’intercepter son regard qui parfois se perd. Ses
mouvements ne sont pas spontanés. Son corps est une prison, sa respiration
bloquée. Avec moi, elle ne veut pas marcher, elle semble avoir peur. Je sais
qu’avec le kiné, elle marche. Je lui laisse le temps. De notre relation nait la
confiance. Je lui propose souvent de se lever et j’attends son accord sans
jamais la brusquer.
Un jour, voilà qu’elle se sent prête. Tout se passe très
bien, chaque semaine nous répétons le même rituel : éveil du corps, mouvements
passifs et marche avec le déambulateur. J’y intègre peu à peu des notions qui
semblent essentielles. Il me semble aussi qu’elle est capable de les intégrer.
"On recule ses pieds", "on place ses mains sur les
accoudoirs", "on décolle son dos du dossier", "on pousse en
même temps sur les pieds et les mains en regardant le sol". Puis, on
maintient sa verticalité un temps, le regard en face, on respire
profondément. En marche pour le périple ! Parfois, nous écoutons de la musique
pour cultiver la légèreté. Les sourires et les soupirs renaissent. Un jour, elle me fixe intensément d'un regard soutenu, sincère et me dit « merci ». Ce jour, j’ai su que tout ce temps pris avait servit à quelque
chose. Non, ce temps n’avait pas été perdu. Cette dame s’était sentie
considérée. Je ne lui avais pas demandé de mobiliser son corps, je l’avais aidé
à investir ses mouvements, à les penser, à les désirer. La coquille ne se
déplaçait plus seule, elle était de nouveau habitée, réanimée. Ses gestes
étaient les siens.